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lundi 7 avril 2014

Je suis un chat

ニヤーニヤー


Je viens de terminer Je suis un chat de Natsume Sôseki, œuvre japonaise qui figure parmi les incontournables à lire et que j'ai beaucoup apprécié. C'est pourquoi je me suis attelée (non sans peine) à sa critique littéraire, car je n'ai trouvé aucun document réellement intéressant sur lesquels appuyer mes travaux (même si j'ai pioché par-ci par là quelques bribes d'idées, ce ne sont pas les principales de ma critique). Elle a également été effectuée avec la participation de quelques littles misses - j'ai nommé Yû-chan, Meg-chan, Ume-chan et Meron-chan - qui se sont démenées afin de trouver de bon exemples à mes propos ! Je vous laisse en juger en toute équité :

Natsume Sôseki et la nature humaine (étude basée sur : je suis un chat et quelques exemples de kokoro)

 

Publié à l'origine pour être une nouvelle en 1905,  Je suis un chat devient sous l'influence de son immense succès, un feuilleton mensuel et permet à son auteur un contrat d'exclusivité avec la revue Hotogisu, chose peu fréquente à l'époque, voire même tout à fait inédite avant d'être édité sous forme de roman.

L'introduction de l'œuvre de Je suis un chat s'effectue au travers d'un procédé tout à fait original et audacieux car il possède la particularité d'avoir pour protagoniste (comme son nom l'indique), un chat qui n'a pas de nom. N'effleurant pas même l'idée de créer véritablement une histoire de chat, l'auteur met à profit son procédé novateur pour analyser d'une manière quasiment scientifique (les aberrations) de la nature humaine - ou plutôt les contradictions qui découlent nécessairement entre les concepts importés de la société occidentale et leur mise en pratique au sein d’une société japonaise en pleine mutation provoquée par les réformes radicales de l'ère Meiji et s'interroge ici sur son véritable bénéfice.

Ainsi, le "chat" par une habile mise en abîme permet à son auteur, non seulement : la critique mais aussi l'auto-dérision en tant qu'observateur de la société humaine. Très cultivé, le félin semble également doté d'une sorte d'omniscience encyclopédique. Car si l'auteur n'hésite pas à critiquer sa propre personne en se représentant sous les traits ridicules du maître (le professeur Kushami), c'est par son regard inflexible et en retrait de chat que la chose est possible. Spectateur privilégié d'une sorte de pièce de théâtre rapidement mise en place dont les acteurs sont son maître et son entourage, le chat catalogue les divers caractères issus de cette société en mouvement et ne les épargne pas.

Natsume Sôseki au travers du chat, brosse une galerie de portrait haut en couleur de tous les acteurs de la société qui lui est contemporaine (y compris féminin) sous forme de satire sans toutefois être provocateur. Scrupuleux de faire la part des chose il sait s’imposer les bonnes limites : il critique avec humour et philosophie en usant de tous les styles d'écriture dont il est capable en variant les niveaux de langages et insérant même quelques haïkaïs. Nous nous pencherons ainsi sur les traits de caractères qui font partis intégrante de la nature humaine suivant 3 points :

- les aspects négatifs de la nature humaine issus de la modernisation du Japon
- les valeurs japonaises perverties par l’occidentalisation à l’époque Meiji
- la fatale adoption de ces valeurs malgré Natsume Sôseki


I - Les aspects négatifs de la nature humaine issus de la modernisation du Japon

Comme énoncé dans le résumé critique sur le crysanthème et le sabre de Benedict Ruth, la réforme Meiji impose à la société nippone de s’adapter. Les valeurs japonaises que l’ont a établies alors sont bousculées par une multitude de traits de caractères venus d’occident pour le meilleur mais surtout pour le pire, à commencer par notre premier petit point :

1 - L'individualisme, l'égoïsme et le désintérêt

Je suis un chat 
- Une définition nous est donnée dans le livre par le personnage du professeur Kushami : « Ce que j’appelle conscience de l’individu est le fait que nous sommes trop conscients de l’existence indéniable d’un fossé entre nos intérêts et ceux des autres. Cette conscience s’affine chaque jour avec les progrès de la civilisation et nous en arrivons à être incapables de faire naturellement ne serait-ce qu’un petit effort de nos bras ou de nos jambes [...] On ne pense qu’à soi-même. » Ainsi, la société tend à être individualiste et l’homme devient égocentrique : il est plongé dans ses propres tourments et ne cherche pas à aider son prochain à résoudre ses problèmes. Il cherchera en premier lieu à s’occuper de lui-même. A côté, la société évolue et avec elle les technologies. L’homme est soit de plus en plus en marge de la société (il est individualiste) soit au contraire cherche à dominer autrui (il est alors égoïste). Les gens cherchent à fournir le moins d’efforts possible. De nouvelles technologies apparaissent favorisant le confort plutôt que le labeur.

- Un autre exemple résume bien l'image qu'a Natsume Sôseki sur la nature de l'homme (p310) : « Maintenant il se met à tordre sa moustache. Cette moustache a de très mauvaises manières et les poils y poussent entièrement selon leur bon plaisir. Même de nos jours où l’individualisme fait rage, on peut apprécier l’ennui du possesseur d’une moustache qui se permet toutes les fantaisies ». C'est en effet une métaphore assez comique de l’individualisme au travers de la moustache du professeur Kushami car pour Sôseki, l’individualisme est représenté par des personnes qui ont de mauvaises manières et agissent comme bon leur semble sans se préoccuper des autres ou de ce qu’ils peuvent en penser.

- Ou encore, (p. 26) « Il n'y a rien d'aussi cruel que les hommes » et « Les hommes ne comprennent pas le droit de possession ». Dans cette scène, une chatte du nom de Shiro a en effet raconté au chat que lorsque qu'elle avait mis au monde quatre chatons, l'étudiant de la maison n’ayant pas l’envie de s’en encombrer les avait emmenés vers un bassin et les avait noyés. Il se souciait peu des sentiments d’un être qui lui semblait inférieur. Par ce biais, il est dit que les humains profitent de leur forces envers les animaux, qu'ils les considèrent comme inférieurs, alors qu'il semble que les animaux possèdent eux aussi des émotions. C'est une vision négative de la société recourant au concept de la loi de la jungle qui est universelle : les plus forts se sentent supérieurs et pensent posséder des droits par rapport aux moins forts : « Dans ce monde où l’on dit que la force prime le droit. ».


Kokoro
- Une autre forme d’individualisme voit le jour dans cette œuvre lorsque le disciple abandonne son père biologique sur son lit de mort pour rejoindre «le maître». Il renonce en effet à ses liens filiaux pour choisir de lui même d’être au chevet de ce maître pour lequel il a tant d’admiration.
 
La liberté autorisée désormais par l’individualisme sous-tend également une indifférence générale et du dédain au sein de la société. En effet, puisque tous obéissent à la loi du «chacun pour soi» les écarts se creusent, tous cherchent à s‘affirmer. Les personnes deviennent imbus d’eux mêmes et prennent les gens de haut, ce qui est notre deuxième petit point :

2 - La pédanterie, le dédain & l'indifférence
Je suis un chat 
- (p. 39) « Seul un chat peut comprendre un chat. » Dans ce passage le maître peine à deviner ce qu'un tableau représente. Le chat, curieux de savoir si l'image est si difficile à reconnaître, lève les yeux et découvre sans aucun doute son portrait. Il souhaite en informer son maître qui n'est pas capable de comprendre une chose aussi évidente, mais déplore le fait que le Ciel n'ait pas doté l'homme de la capacité à comprendre le langage des chats. Tandis que l’animal s'est tout de suite reconnu dans le portrait (et par conséquent semble être plus intelligent que son maître) il précise au lecteur que « les hommes ne manquent jamais une occasion de considérer les chats comme quantité négligeable ». En d'autres termes, puisque les chats ne sont pas capable de comprendre le langage humain (ou bien l'inverse) l'homme éprouve un sentiment de supériorité. Il va plus loin dans la réflexion lorsqu’il dit : « Quelque progrès que fassent les hommes, cette compréhension leur sera toujours refusé. ».

L’indifférence ainsi que l’égoïsme que les japonais se vouent les uns les autres amènent parfois les individus à concevoir des rapports malsain tels que notre troisième petit point : 

3 - La corruption & l'opportunisme (issus du capitalisme) - où l'homme est confronté à diverses situations qui lui arrache son innocence
 Je suis un chat 
- Le chat, en parlant de son maître dit : « Quand il a décidé qu’il n’y aucun espoir de tirer avantage d’éventuelles relations avec des hommes influents ou riches, il devient singulièrement indifférent à leurs intérêts.» Il veut dire ainsi que c’est dans la nature humaine de chercher dans toute relation un profit quelconque, un bénéfice. Il méprise la femme de Kaneda car c’est une riche parvenue par le biais de son mari et joue de sa fortune pour obtenir ce qu’elle souhaite. Ces gens ne conçoivent les rapports à autrui que par l’argent ce qui est une critique évidente du capitalisme.

Kokoro
- Le maître dit à l’élève que tout honnête homme peut se révéler un démon si l’opportunité se présentait en pensant à l'appât du gain. En effet : L’oncle du héros cherche à le marier à sa fille une fois qu’il est orphelin pour avoir la mainmise sur son héritage.

Malgré ce que l’on peut en dire, s’il y a de mauvaises gens aux pensées malveillantes, cela va de pair avec l’innocence et l’ignorance que constituent le schéma de pensée de leurs victimes en notre quatrième petit point : 

4 - L'innocence, la bêtise & la crédulité
Je suis un chat 
- Tout au long du roman, Kushami croit sans cesse aux fariboles de Meitei, son étudiant le plus fantasque qui se joue des autres. En effet, celui-ci manipule à sa guise tous les personnages tel un marionnettiste pour faire la représentation d’une pièce qu’il aurait imaginée, dépassant même toutes ses espérances. 

- Il naît également un quiproquo autour du mot docteur, qui fait référence au niveau d'études de Kangetsu, mais que le femme de Kaneda interprète comme le fait qu'il étudie véritablement la médecine. La barrière de la culture et du langage se dresse ici et renforce les inimités entre les intellectuels et les hommes d'affaires.


Enfin, l’émergence de mœurs plus libérées influence non seulement les hommes mais le genre féminin aussi avec notre cinquième petit point :

5 - L'emancipation des femmes & ce qui en découle
Lorsque la femme sort de son mutisme grâce à l’émergence de l’individualisme, elle devient insoumise et développe (si ce n’est plutôt) dévoile leur caractère détrempé au travers de défauts bien connus tels que : 


la vanité
Je suis un chat 
- En effet, lorsque la femme de Kaneda se vexe pour la taille de son nez cela prouve qu’elle attache beaucoup d’importance à son image ; 

- Sa fille, elle, se joue des hommes et se vante de recevoir des lettres d’amour (quoique fausses : car ce sont des étudiants qui se sont joués d’elle en écrivant une fausse missive afin de punir sa vanité et son orgueil ) elle fait étal de sa popularité ; 

- (p. 57) La femme du voiturier, bien que n’en mangeant qu’une fois par an, fait savoir tout haut qu’elle va acheter de la viande de bœuf, article beaucoup trop luxueux pour elle.

- (p. 55) « Elle serait la fille du neveu d’une femme dont le fils a épousé la sœur cadette du secrétaire particulier de l’épouse du treizième Shôgun. » Mikeko, la chatte du professeur de koto fait ici appel à sa lointaine parenté au Shôgun afin de prendre les gens de haut. ;

La gent féminine nous apparait bien superficielle en comparaison des caractères masculins, ceci étant dit, la femme est plus complexe à concevoir que les hommes car elles sont fourbes. Si les hommes agissent au grand jour pour se donner de l’importance, on notera que le jeu de marionnettes auquel la gent féminine s’emploie pour réaliser leur désirs est beaucoup plus mesquin et fourbe :

la fourberie 
Je suis un chat 
- La femme de Kaneda paie des intermédiaires à ses actions. Ce qui est le plus frappant, c’est les moyens détournés qu’elle emploie pour obtenir gain de cause. Cet exemple est de nouveau repris plus tard avec :

- (p. 353) La nièce de Kushami (Yukie) qui exprime l’inverse de ses désirs pour les obtenir ; En effet cela est confirmé plus tard par Mr Yagi lorsqu'il donna une conférence à la Réunion des Dames dont Yukie est membre (Page 359) « Il a ajouté que les femmes ont tendance à ne pas faire les choses de la façon la plus directe, mais plutôt en passant par toutes sortes de détours » .

- (p. 373) « Vous qui me lisez, demandez donc à une femme si elle se réjouit du malheur des autres. Elle vous prendra pour un imbécile, ou alors se croira offensée par cette question qui porte atteinte à sa qualité de femme. L’insulte est peut-être réelle, mais il n’est pas moins réel que les femmes rient du malheur des autres.» A travers la critique du chat, Sôseki en profite pour faire ici une petite pique aux femmes qui selon lui aiment à se moquer des autres mais qui détestent qu’on le leur fasse remarquer. Comme les femmes ont plus de caractère que leur mari elles se permettent de les prendre de haut, ce qui n’était pas le cas avant la réforme de Meiji.

II - les valeurs japonaises perverties par l’occidentalisation à l’époque Meiji

Ce que Natsume Sôseki pourrait dépeindre comme des vertus au premier abord se voit aussitôt implicitement perverti. En effet, la société d’alors effectue une rébellion contre les codes de conduites établis issus de la tradition japonaise qui cherchent la discrétion, la sobriété et la vertu. Les japonais modernes, au contraire, se conçoivent comme des individus à part entière (détaché du groupe familial cher à la société de Meiji) et peu habitués à ce nouveau statut, cherchent à tout prix la reconnaissance d’autrui, chose primordiale pour se prouver leur existence aux travers des regards extérieurs. C’est une trahison de ces valeurs traditionnelles comme : 

1 - Le respect
Je suis un chat
- (Page 109) Le maître reçoit dans ce passage la visite de la dame Kaneda, la femme d'un riche homme d'affaires qui vit dans une maison de style occidental. Après avoir appris qui est la femme avec laquelle il parle, il en est dit que « Il n’en respecte pas plus qu’avant la dame Kaneda ».  Kushami n'a que très peu de considération pour les hommes d'affaires (qui sont le symbole de réussite économique) et a une très haute estime de lui-même (qui est un intellectuel). Par ce biais on peut apercevoir une métaphore d’affrontement du progrès post-Meiji (par les hommes d’affaire) et l’érudition de la période pré-Meiji; L'irrespect et le mépris se traduisent par l'attitude de cette femme issue d'une classe sociale moins élevée hiérarchiquement : les marchands qui s’enrichissent sur le savoir-faire des autres. Les riches peuvent désormais faire étal de leur fortune et s’en vanter.

- (p. 423)  « C’est pourquoi notre monde est si différent de celui de jadis, car maintenant il y a un nouveau phénomène : on ne fait pas quelque chose parce que c’est la volonté d’un supérieur. » Nous apprenons dans ce passage qu’en réalité Kangetsu ne s’est jamais intéressé à la fille de Kaneda et a pris pour épouse une femme de sa province lorsqu’il y est retourné. Dokusen Yagi lui demande alors s’il s’excuserait auprès de la famille Kaneda car c’est inconvenant de se marier sans le dire aux autres. Ce dernier lui répond par la négative. Mais Dokusen surrenchérit en prenant pour exemple la police, un ministre ou un personnage de la noblesse en conséquence de quoi plus la position sociale de la personne qui exige de lui la soumission est haute, moins Kangetsu serait disposé à y obéir. Ce fait illustre le manque de respect envers la hiérarchie pré-Meiji.


Kokoro
- Le héros respecte une personne uniquement par son charisme. L’élève du maître se sent comme fasciné pour lui alors qu’il n’a rien de respectable et qu’il ne fait rien en ce sens, au contraire : même si le maître semble rechercher la compagnie de son élève, il ne le montrera jamais de manière active ou alors uniquement pour respecter une promesse que l’élève avait réussi à lui arracher. Le frère du héros lui dit concernant son maître : « Se refuser à rien faire c’est tromper autrui. Quand un homme a quelque chose en lui, il doit de toute ses forces travailler à se rendre utile : sinon, c’est une duperie envers la société. »

Le respect ainsi que la confiance sont des sentiments voués aux personnes honorables selon des concepts confucéens. Ils se traduisent par un sentiment d'humilité ainsi que des bonnes manières suivant des rituels très précis envers tout être qui nous est supérieur (une femme obéit à un homme, une jeune personne obéit à plus âgé que lui...). Ces deux aspects seront à leur tour pris comme exemples et pervertis pour appuyer l’idée d’une société japonaise traditionnelle tombée en désuétude.

2 - L' humilité
Je suis un chat
- Kushami voue une de l'humilité envers l’oncle de Meitei ; Lorsque l’oncle de son élève se présente chez lui, c’est selon les formes les plus strictes et les salutations codifiées par la tradition. C’est pourquoi, pour éviter de perdre la face devant son élève, Kushami le reçoit comme la tradition l’exige, toutefois il est maladroit et se tourne en ridicule face à cette personne qu’il ne connaît pas soucieux de rester digne. C’est un échec que son élève Meitei ne manque pas de souligner.

- Le professeur Kushami reçoit également chez lui plusieurs lettres lui demandant une participation financière pour diverses choses (l’effort de guerre...). Il dédaigne celle dont le message lui apparait clair mais d’une politesse irréprochable tandis qu’il révère la dernière qu’il reçoit dont le message semble cacher une explication plus profonde mais dont le sens lui échappe. Plus tard, il s’aperçois que cette fameuse lettre provient d’une personne marginalisée - considérée comme folle - et se reproche d’y avoir trouvé une qualité de style qui finalement ne lui appartenait pas.

Plongés dans une société au mouvement continuel, les japonais modernes se détournent du respect et des devoir, imposant aux conservateurs d’être délaissés. Ceux-ci ne cherchant pas à faire l’effort de s’intégrer, sont rapidement ignorés car jugés comme appartenant au «passé». Ils sont incompris et presque «contraints» par la société à l’inaction, faute de moyens de compréhension mutuelle réelle. La vertu de la patience japonaise, devant une jeunesse sourde à l’expérience des anciens, se transforme en nonchalance :

3 - La nonchalance
Je suis un chat
- (p. 348) « Voilà une bonne définition des êtres humains : il suffit de dire que ce sont des individus qui se créent sans cessent des choses dont ils n’ont pas besoin et passent ensuite leur temps à s’en plaindre » Ici, le professeur Kushami se plaint lorsqu’il songe à l’avenir de ses filles dont l’aînée doit être âgée d’à peine sept ans. Dans sa pensée, il se déleste de son devoir de leur trouver un parti convenable à l’image du père de famille dans l’œuvre Orgueil et préjugés de Jane Austen qui se repose entièrement sur sa femme pour ce rôle. 


Kokoro
- Le maître laisse les autres le fréquenter s’ils le veulent mais n’ira pas de lui même vers la société. En effet, stigmatisé par les changements trop brutaux des mœurs dont il est victime, et dégouté par ses propres actes, il se replie sur lui-même en signe de pénitence. C’est une réclusion qui lui permet de méditer sur ses agissements dictés par l’égoïsme. Chaque année il visite la tombe de son ami : sa seule véritable fréquentation - car hanté par son souvenir, il ne considère plus son entourage comme des personnes, mais plutôt comme des ombres dont il fait parti : il est entaché par le crime. Ainsi, il ne mérite pas sa place dans une société dont il ne reconnaît plus les valeurs d’autrefois ni même ne mérite le titre d’homme, car laissant sa femme à l’abandon et lui cachant la vérité sur ses états d’âme, il ne lui permet pas d’être tout à fait heureuse.

Les japonais sont désunis : les schéma familial est brisé, la jeunesse n'est plus respectueuse de l'expérience de plus âgé qu'elle. Les japonais sont toutefois forcés de se côtoyer, mais, vidés de toute complicité, c'est à peine s'ils se tolèrent :

4 - La tolérance
Je suis un chat
- L'adoption du chat n'apporte à la famille aucune contrainte et le fait qu'il ne possèdent pas de nom renforce cette idée : ils le négligent.

- (p. 392) Dans ce passage, Kangetsu souhaite à tout prix acheter un violon et manque une journée de cours pour qu'enfin le soir il puisse l'acheter à l'abri de regards indiscrets. Cependant, arrivé dans la boutique, il constate que ses camarades sont à l’extérieur de la boutique et craint de se faire agresser s’ils le voient acheter un instrument occidental. Cela prouve que l’ouverture du Japon au monde n’est pas encore bien acceptée, les choses se font petit à petit, cependant certaines réticences perdurent.

Dans un Japon au parfum suranné, la nouvelle génération s’emploie avec énergie dans un état quasiment aveugle à chercher le modernisme à tout va. Ils se perdent dans l’action et ne sont plus du tout réfléchis :

5 - La Passion, le sérieux & l'absence de recul

Je suis un chat
- (p. 385) « Si les hommes de talents de notre époque de Meiji ne dorment pas avec leurs violons, ils ne peuvent pas espérer surpasser les anciens. » Le personnage de Kushami montre au travers de cette phrase que l’apprentissage n’est jamais terminé, il faut toujours persévérer dans ses efforts. D’ailleurs il fait ici référence à la passion quasiment obsessionnelle qui permet au génie de la création de se libérer et qui malheureusement tend à disparaitre avec la fainéantise qu’ont adopté les hommes modernes. Car tout ce qui semble «moderne» se voit aussitôt encensé par les citadins - il est donc facile de paraître intelligent et mener les autres par le bout du nez. Cette phrase énonce au contraire que les hommes doivent s’adapter aux changements, travailler dur sans toutefois être superficiels pour égaler et surpasser réellement les anciens.

- Toutefois Kangetsu se lance dans le sérieux le plus profond dans des thèses farfelues « La dynamique de la pendaison » ou encore « Les effets du rayonnement ultraviolet sur le mouvement électrodynamique des pupilles d’une grenouille » qui sont tout à fait ridicules et qui plus est se traduisent par des recherches qui n’ont rien à voir (polissage de billes etc.). Il ne prend pas suffisamment de recul par rapport à ses travaux ; Par ailleurs, la Dame Kaneda s’offusque de savoir que Kangetsu prétendu «docteur» (qu'elle pense être en rapport avec la santé) travaille sur la "dynamique des pendus", chose tout à fait contradictoire et parfait exemple de comique de situation issu du genre du théâtre occidental.

- L'étudiant Tofu, quant à lui, écrit des poèmes de nouveau style (décrivant la formation desdits poèmes en laissant l’inspiration venir à lui sans retravailler ses vers. Il suit ce que lui dicte le fil de ses pensées - que ce soit bon ou mauvais). Ce dernier compose des vers pour une jeune fille (la fille de Kaneda) qui a une physionomie qui l’inspire. Passioné par la belle, il s’efface devant la prétendue attirance de Kangetsu envers la jeune fille et ira jusqu’à dédicacer les poèmes qu’il créé pour elle à leur futur mariage. Cela ne le dérange finalement pas de les utiliser pour le couple formé par la fille Kaneda et un autre homme que son ami (avec lequel elle se marie à la place de Kangetsu). Cela dénonce la profondeur qu’il accorde à ses travaux.


III - la fatale adoption de ces valeurs malgré l’auteur

Une métaphore est employée au travers du chat qui est attiré par un mochi qu'il lui est totalement défendu de manger mais qu'il désire tester au moins une fois. Le félin lutte en vain contre ses pulsions (non pas de gourmandise, mais de curiosité) et l'aspect peu ragoûtant de la confiserie le fait déplorer l'absence de la bonne qui pourrait le chasser ; Il s'avance donc vers un malheur inéluctable : il se coince la mâchoire dans ce dessert sucré sans parvenir à s'en défaire. Ce passage démontre l'attirance de l'inconnu que cela soit bon ou non pour la personne. On notera donc qu'à l'image de cette anecdote Sôseki est malgré lui attiré par ces valeurs qu'il pense malsaines au détriment de sa volonté de les combattre.

1 - L'égoïsme
Je suis un chat
- On notera d’abord le choix du chat comme protagoniste : c’est un animal assez solitaire et individualiste qui ne considère ses environnement que comme surface où dormir & manger et les êtres humains comme fournisseur de ces conforts. Le chat n’a pas d’affection pour son maître, il est seulement son seul refuge.

- Son attitude également lorsqu'il s'approprie de manière éhontée le coussin que son maître destine à son invité et s'y installe le plus confortablement du monde.

2 - L'individualisme  et le conformisme
Je suis un chat
- (p. 310) De nouveau au travers de la métaphore de la moustache, le chat observe son maître essayant de recoiffer sa moustache : « Cette moustache a de très mauvaises manières et les poils y poussent entièrement selon leur bon plaisir » puis « Son ardeur a porté fruit, et ces temps derniers un semblant d’ordre est enfin apparu ». On peut voir dans ce passage une comparaison sous-entendue entre le Japon de l'avant Meiji et le Japon de l'après Meiji, où une constitution est créée, le Japon est bien cadré. En effet lorsqu'il est dit : « Cultiver une fière moustache pleine de l’esprit du progrès »  il s’agit là d’un clin d’œil aux progrès faits à l'époque de Meiji par le passage obligé de l’occidentalisation. Elle est agressée par le bon vouloir de Kushami et s’y plie comme le Japon se plie au forces américaine et accepte l’occidentalisation qui en découle. 

3 - La pédanterie et le dédain
Je suis un chat
- L'exemple est donné ne serait-ce qu'au niveau du titre repris dans les premiers mots du roman : « Wagahai wa neko de aru ». En effet le langage du chat et ses remarques sont totalement acerbes et critique tout : Wagahai est une des nombreuses façons de dire « je » en japonais. Selon le statut de la personne dans la société, son sexe et son âge, on n'utilise pas le même mot. Wagahai se traduirait davantage par un « Nous » équivalent à celui employé par les rois, ou du moins à une expression de la supériorité de la personne.

- Le chat s’estime aussi supérieur à Kuro, le chat du voiturier car son maître est vulgaire et ridicule, tandis que le professeur qui l’a recueilli semble avoir plus d’intelligence. Il évalue son importance sur la sphère spirituelle et intellectuelle dans lesquelles il possède plus de qualités (et de manière durable) et non la superficialité de la force de Kuro qui l’abandonnera bien assez vite. (lorsqu’il vieillit par exemple).

4 - Le respect, la confiance et l'opportunisme

Je suis un chat
- Le chat, qui a passé l'ensemble du livre à dénigrer les hommes et leurs mœurs, finit de la même manière qu'un vulgaire alcoolique tombé dans une rivière. Il est important de ne pas dénigrer autrui car leur situation peut toujours nous arriver un jour (telle l’ironie du sort bien choisie !).


Kokoro
- Faisant partie d’une jeunesse désabusée (à l’image de Candide de Voltaire), le maître est victime de tous ces sentiments négatifs issus de l’occidentalisation par le biais d’une arnaque par son propre oncle en qui il vouait une foi égale à ses propres parents. Le maître conserve malgré tout l’estime qu’il a pour lui-même en se méfiant de la société qui l’entoure. Face à un dilemme cornélien entre l’amitié/respect et l’amour/passion, il perd cette estime de lui-même en plongeant son ami dans la foi pour obtenir la femme qu’ils aimaient tous deux. Il perd ainsi son seul espoir de croire en l’humanité. (Car s’il n’est pas lui même digne de confiance malgré l’estime qu’il se portait, en qui peut-il désormais avoir confiance?)

5 - La patience / nonchalance
Je suis un chat
- Ainsi la nonchalance du maître s’applique au chat : si le chat critique en disant de l’homme : «il suffit de dire que ce sont des individus qui se créent sans cesse des choses dont ils n’ont pas besoin et passent ensuite leur temps à s’en plaindre» il n’est pas lui même exempt de tous reproche lorsque dans un élan de générosité il souhaite porter secours à Kangetsu contre toutes les personnes qui lui sont malveillantes mais abandonne aussitôt son projet après avoir imaginé le cheminement des difficultés qui surviendraient sans chercher de solution (notamment sous prétexte qu’il ne peut transmettre ses pensées aux humains, faute de compréhension mutuelle). Seule la curiosité le pousse à maintenir son projet uniquement pour satisfaire son besoin de savoir. Il est hypocrite.

Conclusion

Je suis un chat, sous son aspect humoristique recèle une part très sombre concernant l’existence humaine, parfaitement imagée par la situation finale : quels que soient les efforts fournis par l’animal pour ne pas se noyer, il mourra: 

- (p. 436) « Tout marche vers la mort, car c’est la loi, et s’il ne sert pas à grand-chose de vivre, le plus sage est peut être de mourir au plus vite. »
 
Cette métaphore fataliste exprime l’idée qu’il est vain de se débattre dans cette société à cause du caractère éphémère de la vie puisqu’en effet : « Les hommes malgré leur grand nom ne vont pas éternellement prospérer. ». Sa vision de la nature humaine n’est différente en rien puisqu’elle est profondément encrée en chacun de nous. Partie intégrante de notre personne, il n’est pas possible de s’améliorer. (recherche sur secte bouddhique fatalistes idées du moine).

Contrairement à la pensée d’Alfred De Musset sur la nature humaine dans sa pièce de théâtre : On ne badine pas avec l’amour, qui n’a déjà n’a pas une haute opinion de celle-ci mais qui porte toutefois l’espoir d’une chose véritablement pure : l’amour, Natsume Sôseki est plus pessimiste puisqu’il doute même de la sincérité des sentiments d’autrui (dans kokoro : le maître hésite à prendre femme de peur qu’elle n’ait des vues sur son argent).

« Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ; le monde n’est qu’un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange; mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c’est l’union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière ; et on se dit : « J’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j’ai aimé. C’est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui. »
Alfred de Musset

Ainsi, la représentation du couple chez Sôseki est souvent représentée par deux êtres enchaînés l’un-l’autre et qui tendent nécessairement vers la tristesse. Si l’homme semble être représenté de manière privilégié par rapport à la femme n’existant que par son biais (elle doit souvent partager d’autres espaces communs, comme le salon ou la cuisine, avec d’autres personnes comme la gouvernante, les enfants ou les invités), si l’on regarde de près, on constate que la supériorité de l’époux sur l’épouse n’est qu’une apparence. En effet, les femmes mariées des romans de Sôseki se caractérisent de manière générale, du moins de prime abord, par leur caractère opaque et mystérieux pour révéler ensuite un caractère bien détrempé au destin souvent tragique :

« Quand ils en ont assez, les hommes peuvent s’envoler où ils veulent, comme vous. Mais pour les femmes, il en est autrement. Je suis comme une plante en pot plantée par mes parents : une fois quelque part, elle ne peut plus changer de place, à moins qu’on ne la transplante. Tout ce que je puis faire, c’est rester en place. Il n’y a rien à faire, sinon rester figée jusqu’à devenir un arbre sec. » 
(dans le Voyageur)

Que ce soit par un mépris qui s’installe (par la déception des attentes d’une femme - Je suis un chat) ou bien l’amitié qui s’y met au travers (Kokoro), aucun de ses couples n’est heureux (ou bien cela l’est au second plan (L’heureux mariage de Kangetsu) pour mettre en exergue la situation conjugale précaire du couple protagoniste). En effet, Natsume Sôseki se plait à dépeindre l’amour du couple au travers de sentiments négatifs : le malentendu, le mépris, l’indifférence, le silence, la folie voir le suicide, ce qui est en totale contradiction avec les mœurs libérées de l’époque. Pas suffisamment traditionnelles pour accomplir en silence leur devoir d’épouses ni suffisamment émancipées pour s’affranchir d’une situation amoureuse qui les agaces, les femmes sont également prisonnières des progrès sociaux établis par la réforme Meiji. De ce fait l’infidélité, bien que déclarée ou soupçonnée, ne sera jamais consommée, et le lien conjugal ne sera pas brisé.

Toutefois, même si Natsume soseki, prend le parti de mal supporter les changements établis il se rend compte que les valeurs profondes que prônait l’ancien Japon se sont définitivement perdues (Dans son ouvrage Kokoro : le maître se suicide après la mort de l’empereur et le suicide du général Nogi sous prétexte qu’il appartient à l’ère Meiji) : il admet jusqu’à l’adoption implicite de ces valeurs (peut être à son insu & contre son gré). Car si l’on admet les félins comme les reflets de leurs maîtres, les mauvais traits sont identiques entre les deux espèces. En effet : (Kuro a la rudesse, la force, l’idiotie et la vantardise de son maître voiturier ; La chatte possède la grâce et la vanité de sa maitresse, professeur de koto ; Tandis que le chat hérite de la pédanterie de Kushami). Ce fait n’est pas anodin, il est là pour souligner la nature profonde des gens qui les élèvent. On comprendra donc que le chat bien qu’ayant un langage incisif, omet de parler de lui-même.

Une autre interprétation peut être tirée de la mort du chat : en effet si le chat perd son enveloppe charnelle, ses analyses du monde et ses enseignements demeurent consignés dans l’œuvre de Sôseki - En cela, sa matière éthérée subsiste pour nous enseigner la Vérité. C’est devenu être éveillé - libéré. Le chat n'est-il pas après tout apprécié par les bouddhistes pour sa capacité de méditation?

Natsume Sôseki conclue sa pensée par : «...Ce que je vais dire vous semblera peut être étrange, mais je suis un fou qui a attendu de parvenir à la cinquantaine pour s’apercevoir que la Voie était à pratiquer dans la vie quotidienne. Et quand je songe au moment où il me sera donné de trouver la Voie Véritable, la distance qui m’en sépare me semble si grande que j’en reste abasourdi. » dans sa lettre adressée le 15 Novembre 1916 à Tomizawa Keido qui était attaché au monastère zen Shôfukuji. Moins d’un mois plus tard, le 9 décembre survenait la mort de Sôseki.

Enfin nous pourrons nous interroger sur l’influence que l’occident à apportée sur d’autres œuvres qui sont postérieures à Natsume Sôseki au sein du patrimoine japonais, notamment avec Kurosawa Akira ou Murakami Haruki. Dans le cas de Kurosawa Akira si ses films se passent souvent à une époque antérieure (ayant pour cadre des paysages de guerre où la pauvreté et la famine font rage), il s’inspire lui aussi du contraste entre tradition japonaise et la nature humaine en période de crise influencé par des procédés issus de la modernité/occidentalisation. Quant à Murakami Haruki, il joue plutôt de son érudition de la culture occidentale pour y faire de nombreuses références parfois très pointues.

Rashomon
Espoir redonné au moine en la bonté humaine après avoir douté de l’attitude du voleur qui s’approchait les bras tendus sur le nouveau-né abandonné pensant là qu’il cherchait à s’en nourrir tandis qu’au contraire il souhaitait l’adopter.

Le château de l’araignée
Drame shakespearien où le respect et la fraternité sont balayés par la cupidité (influencé par l’amour et l’opportunisme).

Natsume Sôseki dans Kokoro « Qui ne porte en lui aucun désir de progrès moral est un imbécile ».

Références
Fujiwara Dan, L'endroit et l'envers des couples mariés dans les romans de Natsume Sôseki
Alfred de Musset, On ne badine pas avec l'amour
Jane Austen, Orgueil et préjugés
Voltaire, Candide